Symbole de lumière de fécondité, de pureté, de fidélité....

Le Cygne, dans : "DICTIONNAIRE DES SYMBOLES"

de jean CHEVALIER & Alain GHEERBRANT
ROBERT LAFFONT/JUPITER

 

De la Grèce ancienne à la Sibérie, en passant par l'Asie Mineure, aussi bien que par les peuples slaves et germaniques, un vaste ensemble de mythes, de traditions et de poèmes célèbre le cygne, oiseau immaculé, dont la blancheur, la puissance et la grâce font une vivante épiphanie de la lumière*.

Il y a toutefois deux blancheurs, deux lumières ; celle du jour, solaire et mâle ; celle de la nuit, lunaire et femelle. Selon que le cygne incarne l'une ou l'autre, son symbole s'infléchit dans un sens différent. S'il ne se clive pas et s'il veut assumer la synthèse des deux, comme c'est parfois le cas, il devient androgynal et de plus chargé de mystère sacré. Enfin, de même qu'il y a un soleil* et un cheval noir*, il existe un cygne noir, non pas désacralisé, mais chargé d'un symbolisme occulte et inversé.

Les Bouriates content qu'un chasseur surprit un jour trois femmes splendides qui se baignaient dans un lac* solitaire. Elles n'étaient autres que des cygnes, qui s'étaient dépouillés de leur manteau de plumes pour entrer dans l'eau. L'homme ravit un de ces costumes et le cacha, ce qui fit qu'après leur bain, deux seulement des femmes-cygnes purent reprendre possession de leurs ailes et s'envoler. Le chasseur prit la troisième pour épouse. Elle lui donna onze fils et six filles, puis reprit son costume et s'envola après lui avoir tenu ce discours : Vous êtes des êtres terrestres et vous resterez sur la terre, mais moi, je ne suis pas d'ici, je viens du ciel et je dois y retourner. Chaque année, au printemps, lorsque vous nous verrez passer, volant vers le Nord, et, chaque automne, quand nous redescendrons vers le Sud, vous célébrerez notre passage par des cérémonies spéciales (HARA, 319).

 

Un conte analogue se retrouve chez la plupart des peuples altaïques, avec des variantes, où l'oie* sauvage se substitue souvent au cygne. Dans tous ces récits, l'oiseau de lumière, à la beauté éblouissante et immaculée, est la vierge céleste, qui sera fécondée par l’eau* ou la terre* - le lac ou le chasseur - pour donner naissance au genre humain. Mais comme le souligne justement J. -P. Roux (ROUF, 351), cette lumière céleste cesse ici d'être masculine et fécondatrice, pour devenir féminine et fécondée. On rejoint par ces mythes la représentation égyptienne de la hiérogamie Terre-Ciel. Nout, déesse du Ciel, est fécondée par Geb, dieu de la Terre. Il s'agit alors en ce cas de la lumière lunaire, laiteuse et douce, d'une vierge mythique. Cette acception du symbole du cygne semble avoir prédominé chez tous les peuples slaves, ainsi que chez les Scandinaves, les Iraniens et les Turcs d'Asie Mineure. L'image - ou pour mieux dire la croyance - est parfois poussée jusqu'à ses plus extrêmes conséquences. Ainsi, dans le bassin du Iénisséi, on crut longtemps que le cygne a des règles, tout comme la femme (ROUF, 353). Mais le cygne, au hasard des peuples, a de nombreux avatars : outre l'oie sauvage, déjà mentionnée, signalons la mouette* chez les Tchouktches, la colombe* et le pigeon* en Russie (ibid. p. 353).

 

 

 

 

 

 

 

 

Le cygne incarne le plus souvent la lumière mâle, solaire et fécondatrice. En Sibérie même, cette croyance, bien qu'elle ne soit pas généralisée, a laissé quelques traces. Ainsi, Uno Harva note que, chez les Bourates, les femmes font une révérence et adressent une prière au premier cygne qu'elles aperçoivent au printemps (HARA, 321). Mais c'est dans la lumière pure de la Grèce que la beauté du cygne mâle, inséparable compagnon d’Apollon, a été le plus clairement célébrée dans les mythes, cet oiseau ouranien est également le lien qui fait correspondre, par ses migrations saisonnières, les peuples méditerranéens et les mystérieux Hyperboréens*. On sait qu'Apollon, dieu de la musique, de la poésie et de la divination, est né à Délos, un jour sept*. Des cygnes sacrés firent, ce jour-là, sept fois le tour de l'île, puis Zeus remit à la jeune divinité, en même temps que sa lyre, un chars attelé de ces blancs oiseaux. Ceux-ci l'emmenèrent d'abord dans leur pays, stir les bords de l'océan, ace-delà de la patrie des vents du Nord, chez les Hyperboréens qui vivent sous un ciel toujours pur (GRID, 41). Ce qui fait dire à Victor Magnien, dans son ouvrage sur les mystères d'Éleusis, que le cygne symbolise la force du poète et de la poésie (MAGE, 135). II sera l'emblème du poète inspiré, du pontife sacré, du druide habillé de blanc, du barde nordique, etc. Le mythe de Léda semble, à première vue, reprendre la même interprétation, mâle et diurne, du symbole du cygne. A l'examiner de plus près on remarque, cependant, que, si Zeus se change en cygne pour approcher Léda, c'est, nous précise le mythe grec, après que celle-ci s'est métamorphosée en oie pour lui échapper (GRID, 257). Or, nous avons vu que l'oie est un avatar du cygne dans son acception lunaire et femelle. Les amours de Zeus-Cygne et de Léda-Oie représentent donc la bipolarisation du symbole, ce qui conduit à penser que les Grecs, rapprochant volontairement ses deux acceptions diurne et nocturne, ont fait de cet oiseau un symbole hermaphrodite où Léda et son divin amant ne font qu'un.

 

Cette même idée sous-tend l'analyse que fait Gaston Bachelard d'une scène du second Faust (BACE, 50 sq). Dans les eaux fraîches, ces eaux voluptueuses dont Novalis dit qu'elles se montrent avec une céleste toute-puissance comme l'élément de l'amour et de l'union, apparaissent les vierges au bain des cygnes les suivent, qui ne sont tout d'abord que l'expression de leur nudité permise (Bachelard) puis, enfin, le cygne, et il nous faut ici citer Goethe :

Comme fièrement et avec complaisance la tête et le bec se meuvent…
Un d'entre eux, surtout, - semble se rengorger avec audace,
et fait voile rapidement à travers tous les autres ;
ses plumes se gonflent comme une vague sur la vague,
il s'avance en ondulant vers l'asile sacré…

(vers 7300-7306)


L'interprétation de cette tête et de ce bec, celle de ces plumes gonflées, celle enfin de l'asile sacré se passent de commentaire voici le cygne mâle en face du cygne femelle, représenté par les jeunes filles et Bachelard de conclure l'image du cygne est hermaphrodite. Le cygne est féminin dans la contemplation des eaux lumineuses, il est masculin dans l'action. Pour l'inconscient, l'action est un acte. Pour l'inconscient, il n'y a qu'un acte(BACE, 152). L'image du cygne, dès lors, se synthétise, pour Bachelard, comme celle du Désir, appelant à se confondre les deux polarités du monde manifestées par ses luminaires. Le chant du cygne, dès lors, peut s'interpréter comme les éloquents serments de l'amant... avant ce terme si fatal à l'exaltation qu'il est vraiment une mort amoureuse (ibid.). Le cygne meurt en chantant et chante en mourant, il devient de fait le symbole du désir premier qui est le désir sexuel.

Poursuivant l'analyse du chant du cygne, il est troublant de retrouver, par le biais de la psychanalyse, la chaîne symbolique lumière-parole-semen, si présente dans la pensée cosmogonique des Dogon Jung, note G. Durand (DURS, 161), rapprochant le radical sven du sanscrit svan, qui signifie bruire, va même jusqu'à conclure que le chant du cygne (schwan), oiseau solaire, n'est que - la manifestation mythique de l'isomorphisme étymologique de la lumière et de la parole.

Je ne citerai qu'un seul exemple de l'inversion symbolique à laquelle se prête l'image du cygne noir. Dans le conte d'Andersen Le camarade de voyage, qui puise aux sources du folklore scandinave, une vierge ensorcelée et sanguinaire apparaît sous la forme d'un cygne noir. Plongé par trois fois dans un bassin d'eau purifiante, ce cygne devient blanc, et la princesse, exorcisée, sourit enfin à son jeune époux (ANDC, 87).

En Extrême-Orient, le cygne est aussi symbole d'élégance, de noblesse et de courage. C'est pourquoi, selon Lie-tseu, les Mongols firent boire du sang de cygne à l'empereur Mou des Tcheou. Il est encore symbole de la musique et du chant, tandis que l'oie sauvage, dont on sait l'extrême méfiance, est un symbole de prudence, dont le Yi-king fait usage pour indiquer les étapes d'une progression circonspecte. Cette progression est susceptible, bien entendu, d'une interprétation spirituelle.

Ces différents animaux sont mal distingués par l'iconographie hindoue, dans laquelle le cygne de Brahma (hamsa), qui lui sert de monture, possède la morphologie de l'oie sauvage. La parenté étymologique de hamsa et d'anser est flagrante, dit M.T. de Mallmann. Le hamsa, monture de Varuna, c'est l'oiseau aquatique monture de Brahma, c'est le symbole de l'élévation du, monde informel vers le, ciel de la connaissance. Dans un sens voisin, des textes sanscrits du Cambodge identifient Çiva au Kalahamsa qui fréquente le lac du cœur des yogi, au hamsa qui siège dans le bindu, hamsa signifiant en même temps l'anser et l'Atmâ ou le Soi, l'Esprit universel. Attribué à Vishnu, il devient un symbole de Narâyana, l'un des noms du Dieu créateur, et l'âme du monde personnifiée.

Le symbolisme du cygne ouvre d'autres perspectives encore en ce qu'il pond oui qu'il couve l'œuf du monde. Telle est l'oie du Nil dans l'Égypte ancienne. Tel encore le hamsa couvant le Brahmanda sur les Eaux primordiales dans la tradition de l'Inde. Tel enfin l'œuf de Léda et de Zeus, dont sont issus les Dioscures, coiffés chacun d'une moi- tié de cet œuf dont ils figurent la différenciation. Il n'est pas inutile d'ajouter que, selon des croyances fort répandues encore à une époque récente, les enfants, nés de la terre et de l'eau, étaient apportés par des cygnes (BHAB, DANA, ELIM, GUET, MALA, SOUN).

 


Dans les textes celtiques, la plupart des êtres de l'Autre Monde qui, pour une raison ou pour une autre, pénètrent dans le monde terrestre, empruntent la forme du cygne et voyagent le plus souvent par deux reliés par une chaîne d'or ou d'argent. Sur beaucoup d'oeuvres d'art celtiques, deux cygnes figurent chacun sur un côté de la barque solaire, qu'ils guident et accompagnent dans son voyage sur l'océan céleste. Venant du nord ou y retournant, ils symbolisent les états supérieurs ou angéliques de l'être en cours de délivrance et retournant vers le Principe suprême. Sur le continent, et même dans les îles, le cygne est souvent confondu avec la grue, d'une part, et l'oie, d'autre pail ce qui explique l'interdit alimentaire dont cette dernière faisait l'objet, d'après César, chez les Bretons (OGAC, 18, 143-147 CHAB, 537-552).

Le cygne fait également partie de la symbolique de l'alchimie. Il a toujours été regardé, par les Alchimistes, comme un emblème du mercure. Il en a la couleur et la mobilité, ainsi que la volatilité proclamée par ses ailes. Il exprime un centre mystique et l'union des opposes (eau-feu), en quoi l'on retrouve sa valeur archétypale d'androgyne. Au monastère franciscain de Cimiez, la devise latine dégage l'ésotérisme de l'image Divina sibi canit et orbi. Il chante divinement pour soi et pour le monde. Ce sifflement est nommé le chant du cygne (le signe chantant), parce que le mercure, voué à la mort et à la décomposition, va transmettre son âme, au corps interne issu du métal imparfait, inerte et dissous. (Basile Valentin, Les 12 clefs de la Philosophie, trad. Eugene Canseliet, Ed. de Minuit, Paris 1956, p. 152).


 

Le cygne en héraldique           

Documentation extraite  de l'excellent blog

Héraldie à consulter pour approfondir le sujet

 

Relativement peu fréquent sur l'écu tout au long du Moyen Âge, le cygne deviendra, à compter du XIVe siècle, une figure courante des ornements extérieurs de l'écu, en particulier le cimier et les supports, de même que sur les devises et emblèmes personnels. Il est considéré comme un attribut seigneurial. Sa fréquence sur l'écu augmente considérablement à partir du XVIIe siècle, au moment où le répertoire des meubles et figures du blason s'accroît et se diversifie.
 
De même que tous les autres oiseaux, on dit du cygne qu'il est becqué de son bec, langué de sa langue et membré de ses jambes lorsqu'ils sont d'un autre émail que son corps. On appelle Cygne plongeant celui dont la tête est enfoncée dans l'eau. Le Cygne est le symbole de la candeur et de la sincérité et de l'amour.